Il est d'étranges soirs ...
IL EST D'ETRANGES SOIRS
Il est d'étranges soirs où les fleurs ont une âme,
Où dans l'air énervé flotte du repentir,
Où sur la vague lente et lourde d'un soupir
Le coeur le plus secret aux lèvres vient mourir.
Il est d'étranges soirs où les fleurs ont une âme,
Et ces soirs là, je vais tendre comme une femme.
Il est de clairs matins, de roses se coiffant,
Où l'âme a des gaîtés d'eaux vives dans les roches,
Où le coeur est un ciel de Pâques plein de cloches,
Où la chair est sans tache et l'esprit sans reproches
Il est de clairs matins, de roses se coiffant.
Ces matins là, je vais joyeux comme un enfant.
Il est de mornes jours où, las de se connaître,
Le coeur, vieux de mille ans, s'assied sur son butin,
Où le plus cher passé semble un décor déteint,
Où s'agite un vague et minable cabotin.
Il est de mornes jours las du poids de connaître,
Et, ces jours là, je vais courbé comme un ancêtre.
Il est des nuits de doute, où l'angoisse vous tord,
Où l'âme, au bout de la spirale descendue,
Pâle et sur l'infini terrible suspendue,
Sent le vent de l'abîme et recule éperdue !
Il est des nuits de doute, où l'angoisse vous tord,
Et, ces nuits là, je suis dans l'ombre comme un mort.
Albert Samain