Pierre de soleil (extrait)
je veux poursuivre, aller plus loin, et je ne peux pas:
l'instant se précipite en un autre et un autre,
j'ai dormi des rêves de pierre que je n'ai pas rêvé
et à la fin des ans comme des pierres
j'ai entendu chanter mon sang emprisonné,
avec une rumeur de lumière la mer chantait,
une à une cédaient les murailles,
toutes les portes se démolissaient
et le soleil entrait en trombe par mon front,
décillait mes paupières fermées,
décollait mon être de son enveloppe,
m'arrachait à moi, me séparait
de mon sommeil rude de siècles de pierre
et sa magie de miroirs revivait
un saule de cristal, un peuplier d'eau sombre,
un haut jet d'eau que le vent arque,
un arbre bien planté mais dansant,
un cheminement de fleuve qui s'incurve,
avance, recule, fait un détour
et arrive toujours.
Octavio PAZ